Les fintech atteignent l’âge de raison

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Ce mercredi 29 janvier, Laurent Nizri, fondateur du Paris Fintech Forum, est sur scène. Fébrile, il s’apprête à prendre la parole au deuxième jour de la 5e édition de ce rendez-vous incontournable qui bat son plein au cœur du Paris financier historique. Une intervention qu’il prépare depuis des semaines et qui va laisser sans réaction le monde de la fintech quil réunit chaque année pour débattre des grands enjeux de la finance digitale.

Son message est clair et limpide. L’édition 2020 ne s’achèvera pas sur l’annonce d’une 6e édition parisienne en janvier 2021, mais sur l’ambition d’un événement à totalement réinventer ! Le Paris Fintech Forum referme donc le chapitre du Palais Brongniart pour mieux se renouveler. Où, quand et sous quel format, cela reste à définir et le consultant appelle toute une communauté à co-construire avec lui l’avenir du prochain Davos de la finance digitale.

Et c’est bien vu car la fintech qui se presse au Paris Fintech Forum doit changer de braquet

Les start-up de la finance doivent se rendre à l’évidence. L’environnement dans lequel elles se sont engagées revient en réalité à construire à marche forcée des partenariats stratégiques pour assembler des propositions de valeur. 

Elles créent de facto des écosystèmes où la marque, la confiance, la donnée et la monétisation de leurs activités sont clés.

Et sur ces plans, en deux ans, les choses ont peu avancé. Les réponses des fintech aux quatre grands défis de leur industrie restent peu convaincantes. Elles sont dans une sorte de déni du principe de réalité et sont souvent désarmantes de naïveté quand elles tentent de les relever.

C’est donc une fintech à l’âge de raison sur fond de crise existentielle qui a quitté l’édition 2020 du Paris Fintech Forum. Une édition qui laissera derrière elle de nombreux acteurs dans des impasses stratégiques, en panne de croissance.

Une édition historique dont je partage avec vous ce premier bilan après avoir assisté à plus d’une vingtaine de conférences.

La fragmentation de la confiance

La construction de partenariats dans un monde d’écosystèmes engendre une sorte de fragmentation de la confiance. Dans ce monde APIsé – par ailleurs au bord de la nausée tant l’offre de services est devenue pléthorique – les fintech continuent à croire qu’elles vont pouvoir exploiter et se partager massivement la donnée de leurs utilisateurs.

Elles pensent encore pouvoir en tirer un profit maximum alors que le défi de la traçabilité reste entier. Où vont les données dans ces écosystèmes ? À qui sont-elles confiées ? Passent-elles d’un tiers à un autre ? Avec ou sans consentement ? Par quel mécanisme de dominos ? Qui en est responsable ? Par où et par qui transitent-elles et ce faisant peut-on garantir à leurs utilisateurs les plus hauts niveaux de sécurité ? Autant de questions, si peu de réponses et peu d’engagement !

Cette incapacité des acteurs à tracer la confiance de bout en bout pénalise le développement de leur écosystème de partenariats. Et la situation semble s’aggraver. Les éléments de réassurance qu’apportent certaines fintech comme les licences bancaires ou les engagements de montée en compétence sur les fonctions régaliennes – comme celle de la conformité – ne suffisent plus à enclencher un cercle vertueux de confiance entre acteurs de l’écosystème.

Panne sèche pour le moteur de la donnée

La donnée de l’utilisateur, cet actif qui reste au cœur de la stratégie de monétisation des fintech, génère finalement peu ou si peu de valeur. Les sources auxquelles s’abreuvent les fintech restent à l’état d’eau trouble. 

Les données qu’elles y trouvent sont brutes, peu ou pas organisées, peu ou pas raffinées et sommes toutes assez « basiques ». Au final, peu différenciantes, difficiles à exploiter, elles sont peu valorisables en l’état. La finance personnalisable et personnalisée grâce aux apports de l’intelligence artificielle reste donc encore à son état de promesse. Les projets d’openX consistant à mixer données bancaires et extra-bancaires que certaines fintech ambitionnent de développer échouent concrètement à avancer.

Et puis voilà qu’avec la donnée, apparaît un nouveau défi, celui de se poser plus clairement la question de la fintech que nous voulons. 

Pour le dire autrement, le sujet d’une fintech durable, soutenable, responsable doit être posé, les questions de genre, morales et éthiques abordées. 

Sur ce dernier point, je pense notamment à la reconnaissance faciale ou aux nouvelles mesures de scoring avec en toile de fond des algorithmes dont on n’appréhende pas encore tous les biais. Les imaginer est une chose, les vivre sur des millions d’utilisateurs en est une autre.

Qu’avons-nous changé en profondeur ? La question du sens

Ces dernières années, la très grande majorité des start-up de la finance a échoué à redéfinir fondamentalement notre rapport à la banque. La fintech n’a pas réussi à faire la différence, celle qui compte, celle qui change les règles du jeu de toute une industrie. Bien évidemment, cela ne veut pas dire que sous l’impulsion de quelques grands succès entrepreneuriaux et d’usage, l’écosystème n’a pas réussi à faire bouger les lignes de son environnement. Mais le constat que je fais est assez sévère. Ce ne sont pas des fintech originales qui se sont créées ces dernières années dans le monde, mais des copies de fintech à succès. La création de nouvelle valeur a été faible. La déception est bien là, présente et se fait sentir.

Dans nos pays développés et en Europe particulièrement, la question de savoir en quoi la fintech a vraiment changé les choses dans cette industrie est posée. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas laissé la même empreinte que d’autres ont pu laisser en Afrique et en Asie.

Que souhaite donc accomplir cette fintech européenne ? Arrivera-t-elle à se saisir des révolutions à venir – celle de la « tokenisation » de l’économie par exemple – pour reconfigurer des chaînes de valeur entières de l’industrie financière ? L’espoir renaît avec des institutions publiques atteintes dans leur souveraineté qui font mouvement d’un point de vue réglementaire, tentant ainsi de revenir dans le jeu. Mais la sphère privée qui est en passe de remporter la guerre des brevets sur ces nouvelles technologies reste dramatiquement anglo-saxonne et asiatique.

La décennie qui débute s’annonce intense et décisive pour les fintech. Pour elles, une intense période de consolidation va se mettre en œuvre tractée par les acteurs traditionnels et ceci dans un environnement de compétition entre États particulièrement féroce.

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