Avec une triste diversité de façade, la fintech pourrait bien faire reculer les efforts de toute une industrie, celle de la finance, à combler le fossé entre les genres.
La diversité, un marché à 700 milliards de dollars
D’après le fonds d’investissement Digital Horizons assis à la table des investisseurs des assurtech Cuvva et Lemonade, l’industrie des services financiers passerait chaque année à côté de 700 milliards de dollars de revenus en ne répondant pas, ou suffisamment pas aux besoins spécifiques de la moitié de l’humanité.
Le fonds part du constat navrant que les femmes ne rentreraient pas dans la clientèle cible privilégiée de l’industrie financière opérant sur les segments de l’investissement, de l’épargne ou des placements.
On pourrait donc s’attendre logiquement à voir les fintech s’attaquer à cette opportunité incroyable en prenant en compte les besoins des femmes grâce à leur capacité à hyper-personnaliser l’offre bancaire. Oui, mais voilà, en étant elle-même très peu féminisée, la fintech en est aujourd’hui totalement incapable !
Une photo de famille consternante
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil à la photo de famille des fondateurs et dirigeants de la fintech mondiale pour se rendre compte – et très vite – que les femmes y restent encore très absentes.
En 2018, sur les 150 speakers qui se pressaient au Paris Fintech Forum, 92% étaient des hommes. A l’époque, j’avais tenté d’attirer l’attention sur l’image dramatique renvoyée par cet écosystème en publiant une infographie qui reprenait le slogan militant #MoreWomenStrongerFintech qui tentait à l’époque de trouver de l’écho.
Deux ans plus tard, pour son édition 2020, le Paris Fintech Forum se félicitait de mettre davantage les femmes entrepreneures à l’honneur mais continuait à produire des panels 100% masculins. On surveillera donc particulièrement son édition 2021 qui marquera peut être aussi un changement sur le plan des débats et de l’expertise.
« Dans fintech, il y a tech » ou l’argument facile
L’une des raisons souvent évoquée à la faible féminisation de la fintech reste celle de sa dimension technologique qui freinerait les femmes à entreprendre dans cet écosystème.
Personne ne conteste que les femmes soient pour l’heure largement sous-représentées dans le secteur de la tech mais cet argument repris en cœur par le monde très masculin de la fintech est à mon sens très contestable
En effet, les fintech de ces 10 dernières années sont pour la plupart des entreprises qui se sont attaquées à révolutionner les usages. Les voir comme des entreprises purement technologiques au service de la finance est un argument facile, limite faux, et surtout déresponsabilisant et pas du tout à la hauteur des enjeux de cette profession.
Non, la raison principale est ailleurs.
Le carburant de la fintech n’alimente pas le moteur de la diversité
Un rapport de la British Business Bank – la banque publique de développement économique du Royaume-Uni – a révélé que pour chaque livre sterling de capital-risque investi, 1 centime seulement revient aux startups fondées uniquement par des femmes, 10 centimes reviennent aux jeunes pousses fondées par des équipes mixtes et les 89 Pence restant atterrissent dans la poche des jeunes pousses dont les fondateurs sont exclusivement masculins.
Les esprits chagrins se consoleront avec de récentes statistiques du cabinet de conseil Deloitte. Celles-ci montrent que les startups fondées par des femmes – additionnées à celles cofondées avec des hommes – représentaient 12,2 % des 3.017 entreprises fintech retenues par le cabinet en 2019 (contre 10,9% en 2010). Mais, en isolant de cet écosystème les entreprises exclusivement fondées par des femmes le taux chute à un pitoyable 3,1% !
La féminisation des fonds d’investissement
Si ces statistiques ne décollent pas, cela est lié au nombre réduit de femmes aux postes les plus importants des fonds d’investissement.
Sans féminisation de la direction de ces fonds, il faut craindre de ne pas voir davantage de femmes participer à la Nouvelle Finance, et ceci à haut niveau
Des initiatives (FinTecHer en France portée par l’association France Fintech) ou des collectifs de femmes entrepreneurs (Sista en France) participent à définir une ambition pour faire bouger les lignes. Mais ces initiatives restent rares. Enfermées dans leur géographie, elles reçoivent peu d’écho et se coordonnent mal sur le plan international.
Cette situation n’est malheureusement pas réservée à la seule fintech. Selon Astia, un fond d’investissement engagé à soutenir les entreprises créées par des femmes, en 2020, à l’échelle mondiale, seuls 2% des fonds de capital-risque sont allés à des entreprises dirigées par des femmes et seulement 9% sont allés à des entreprises où les femmes sont représentées parmi les dirigeants.
En France, la chance de l’index de l’égalité professionnelle
Pour les fintech françaises qui cherchent à être plus vertueuses, l’index de l’égalité professionnelle est une chance.
Chaque année avant le 1er mars, les entreprises d’au moins 50 salariés doivent désormais calculer et publier sur leur site internet leur index de l’égalité femmes-hommes. Cet index à 100 points qui s’attaque principalement à combler les écarts de rémunération est un bon indicateur de la maturité de la fintech en forte croissance à se saisir de sa responsabilité sociétale.
Si je n’ai pas trouvé cet index pour des fers de lance comme Lydia ou encore October qui n’atteignent peut être pas encore le seuil des 50 salariés, Qonto et Younited Credit jouent le jeu de la transparence. Avec un index de 83 points, Qonto montre l’exemple. En revanche, avec ses 73 points sur 100 possibles, Younited Credit est contraint à mettre en place des mesures correctives pour atteindre au moins le seuil des 75 points dans un délai de 3 ans. Ces 2 fintech emblématiques de l’écosystème français se disent prêtent à relever le challenge d’aller toujours plus haut.
Oui, mais voilà, pour les fintech, cet index reste avant tout un outil au service de leur recrutement dans un environnement ultra-compétitif. Pour le trouver, il faut en effet se rendre sur leur page « Carrières », preuve s’il en est que ce sujet est traité avant tout sous le prisme de la marque employeur.