Dans un article remarquable, car très bien documenté, publié dans son édition d’avril sous le titre The new age of Indian banking, The Banker revient sur la réforme sans précédent du secteur bancaire indien dont les citoyens non-bancarisés sont aujourd’hui les grands témoins et seront demain les grands bénéficiaires.
Depuis avril 2014, la banque centrale indienne, ou RBI pour Reserve Bank of India, a accordé très exactement 23 nouvelles licences bancaires à des acteurs non bancaires Tweet This
Cette lame de fond va transformer durablement le paysage du secteur bancaire et financier indien avec la multiplication des établissements de paiement et la création du statut de « small finance bank » dont s’emparent les institutions de microfinance pour élargir leur périmètre d’activités.
Ces acteurs dont l’ADN diverge du modèle traditionnel de banque universelle, car plus spécialisés, sont appelés à investir des niches de marché dont le potentiel et les dynamiques de croissance sont considérables.
Considérables parce qu’il s’agit ici de marchés délaissés historiquement par les acteurs traditionnels mais également parce que, sous la poussée des nouvelles technologies et de cadres réglementaires innovants (l’Aadhaar notamment, le système national d’identification biométrique), le coût d’acquisition et d’authentification d’un consommateur en Inde s’est fortement réduit, ceci de surcroit dans un environnement où, d’après l’autorité nationale de régulation des télécommunications, le nombre d’abonnées mobile a dépassé la barre du milliard.
23 licences bancaires pour plus d’inclusion financière
Avec 557 millions d’individus qui, en 2011, étaient privés de tout service bancaire, autrement dit non-bancarisés, l’Inde s’est résolument engagée pour accroître l’inclusion financière, ou la proportion d’individus et de sociétés qui utilisent des services bancaires et financiers.
Fort d’un gouvernement volontaire incitant par exemple les banques à promouvoir l’ouverture de compte bancaire sans découvert, le pays aurait réduit considérablement ce chiffre le faisant chuter à un seuil de 233 en octobre 2015 d’après PricewaterhouseCoopers.
Dans son rapport de 2014 consacré à l’inclusion financière, la Banque Mondiale rappelait les éléments clés suivants :
- Plus de 2,5 milliards d’adultes dans le monde n’ont pas de compte bancaire.
- Alors que 51% des entreprises des pays développés bénéficient d’un prêt bancaire, ce pourcentage chute à 31% dans les pays en voie de développement.
- Pour 35% des PME des pays en voie de développement, l’accès au financement constitue une contrainte majeure, cette perception tombe à 16% pour les PME des pays développés.
- L’inclusion financière a des effets importants sur le développement de nos économies, contribuant à réduire la pauvreté, et se veut responsable durablement. L’inclusion financière ne signifie donc pas l’accès aux services bancaires et financiers pour tous et à tout prix.
- L’inclusion financière s’enrichit d’un secteur financier compétitif et diversifié.
Aussi en soutien de cette politique, sur les 23 autorisations accordées, 2 agréments seulement concernent des statuts de banque universelle, les autorités ayant privilégié la transformation des institutions de microfinance en « small finance banks » (10 licences) et une concurrence accrue sur le segment des établissements de paiement (11 licences). D’après S&P, les premières parts de marché significatives de ces nouveaux entrants se construiront sous 2 à 3 ans.
L’épargne, le plus grand défi !
Le plus grand défi pour l’Inde est désormais d’attirer l’épargne des ménages vers le système bancaire qui n’en capte aujourd’hui qu’un tout petit 7%, une aubaine pour les fintech amenées à développer des modèles à l’image des startups BirdyCent ou Stash.
Les 8 institutions de microfinance qui se sont dotées de l’agrément de « small finance bank » sont autorisées désormais à déployer des activités de dépôt et proposer des comptes d’épargne avec comme principe que, pour soutenir leurs activités de crédit, ces nouvelles banques vont donc apprendre à s’appuyer sur leur propre collecte.
En toute logique, pour gagner des clients, les « small finance banks » devraient donc participer à mieux rémunérer l’épargne, une stratégie soutenant de facto une baisse de leurs coûts de refinancement (estimée entre 200 et 300 bp) pour se répercuter en cascade au final sur les taux de leurs crédits.
Etablissement de paiement, une licence en demi-teinte
Aux côtés des catégories de banque universelle et de « small finance bank », le troisième type de licence accordé en masse par la banque centrale est celui d’établissement de paiement.
En aout 2015, 11 établissements, dont M-pesa, l’avaient obtenue. L’arrivée de ces nouveaux entrants a vu la multiplication d’alliances stratégiques entre ces acteurs, issus notamment des télécoms, et les banques historiques – coopérations qui jusqu’alors ne se matérialisaient pas malgré les efforts et les incitations des autorités.
Le papier de Stefania Palma décrypte la réussite fulgurante de la fintech Paytm qui, en 6 ans, est passée d’un simple opérateur mobile de cartes prépayées à une application mobile, une plateforme de e-commerce, de paiement de factures électroniques et à un acteur de monnaie électronique (à ce titre avec ses offres de cash-in, cash-out, elle est un peu le LemonWay indien).
Etre un établissement de paiement en Inde n’autorise cependant pas à développer une activité de crédit mais la réglementation pourrait être revue sur ce point. La pression est forte du coté du régulateur, certains analystes dont S&P s’interrogeant sur la capacité de ces fintech à construire durablement un modèle rentable en dehors de toute activité de crédit.
Imaginez l’effet d’aubaine pour un Paytm dont la solution de paiement est intégrée à l’application d’Uber en Inde !